Avant, on n’avait pas peur des forêts sombres et des vieilles croyances, des cris de bêtes qui déchirent la nuit et des ombres incertaines qui rôdaient dans les champs. On se moquait bien des trolls cachés sous les ponts, des déesses vengeresses, des géants de nuages ou des diables des crevasses…
Alors on brûlait les arbres millénaires pour se chauffer au printemps et on empoisonnait la terre pour la forcer à vomir ses fruits. Et puis un jour, la Brume a tout emporté. Oh, pas la petite brumouille du matin ou la semi-brume des lendemains de pluie, non ! La brouillasse, la vraie. La purée de boue, la bouillie de charbon, noire et épaisse comme de l’encre en suspension. Celle qui engloutit tout pour recracher des monstres qui vous dévorent à leur tour. Celle dont personne ne revient… sauf la petite Tempérance, une ogresse attachante. Sauvée de justesse par Grisette la Semeuse, une sorcière aussi puissante que bourrue, la petite fille est élevée dans la tranquillité d’une sororité de vieilles femmes qui vivent dans les montagnes.
Mais dix-huit ans plus tard, la Brume terrifiante finit par frapper durement la communauté, forçant un petit groupe de sorcières à quitter le village pour tenter de percer les mystères du fléau. Il est temps de sortir les grigris et de se rappeler des vieilles incantations et des leçons de kung-fu pour se lancer dans une grande aventure qui changera le destin de la jeune Tempérance à jamais. Un conte écologique moderne, drôle et sombre à la fois, empreint de métaphores servant de belles réflexions et jouant, non sans humour, avec les stéréotypes du monde foisonnant de la sorcellerie.
Sans avoir retenu son nom, je connaissais déjà le travail de Stéphane Fert dans les très belles BD Blanc autour (2021) et Peau de mille bêtes (2019). C’est à chaque fois un travail remarquable autant au niveau du scénario que des illustrations. D’ailleurs dans ce premier tome des aventures des habitantes du village des Brouches où vivent les sorcières, les paysages et les personnages sont sombres à cause de la brouillasse, sorte de grosse brume noire qui a le pouvoir de tuer et d’envahir les territoires. L’enjeu de ceux qui viennent du pays des Omis semble être de récupérer la petite ogresse qui a été sauvée 18 ans plus tôt. Nous en saurons certainement plus lors du prochain tome, car ici Stéphane Fert se contente de planter le décor et l’intrigue.
Tempérance est l’héroïne à suivre, mais elle est bien entourée par des « tantes » bienveillantes et ne connaît pas encore ses pouvoirs. Sa corpulence d’ogresse en fait une belle jeune fille très charpentée qui n’en est pas moins ravissante. C’est suffisamment rare dans les publications jeunesse actuelles pour le souligner. Le message de tolérance est un propos très bien illustré dans ce scénario foisonnant ainsi que celui de la défense de la nature. Les combats de l’auteur sont non consensuels et multiples (il combattait le racisme dans Blanc autour) et je suis persuadée maintenant de ne plus passer devant un de ses ouvrages sans le remarquer.
Éditeur : Dargaud – Collection : Hors collection – Genre : Fantasy – Scénario et dessin : Fert Stéphane – Date de parution : 25 août 2023 – 136 pages – Prix : 21,50€