La synagogue de Joann Sfar
Joann Sfar cherche depuis trente ans à inviter son lecteur dans le monde juif. Tous ses récits sont des appels désespérés à la fraternité. « La Synagogue » marque sans doute le début de son épopée la plus intime.
Cette fois, il va moins loin que l’Algérie du chat ou que l’Ukraine de « Klezmer ». Il a fallu qu’il se trouve sur un lit d’hôpital en 2021 pour que le dessinateur ose enfin raconter ses vraies aventures d’adolescence. C’est une génération qui se sent coupable d’être née après Hitler et de ne pouvoir le combattre. Des gosses poings serrés qui se disent que les fils de bourgeois déguisés en skinheads qui croisent leur route ne seront pas des ennemis à la hauteur de leur chagrin. C’est l’histoire des Juifs de France qui rêvent d’être comme tout le monde mais qui ne savent pas comment se rendre utiles lorsque des bombes commencent à exploser dans les synagogues. Derrière le plaisir du dessin et des bagarres, un récit salutaire pour rappeler aux jeunes ce que fut le Front National quand il ne faisait pas semblant d’être un parti comme les autres. « La Synagogue » est un récit qui rappelle la permanence des extrémismes politiques et la nécessité de les combattre, même si cette lutte doit être recommencée à chaque génération.
Je suis et connais bien l’univers de Joann Sfar depuis de nombreuses années, et je pense que cette BD est sa première autobiographie assumée et définie comme telle. Car même s’il a tendance à toujours parler un petit peu de lui, ou de se mettre en scène, la sincérité de cet ouvrage tranche avec les mises en scène qu’il affectionne particulièrement dans Le chat du rabbin par exemple. Les souvenirs d’enfance ou d’adolescence sont entrecoupés par des scènes du quotidien de l’auteur lors de son séjour à l’hôpital, et semblent être la raison de son introspection. C’est parce qu’il croit qu’il va mourir qu’il revient sur son rapport à la religion et retrace tout son parcours pendant les cinquante dernières années. Ce récit constitue donc une ligne de l’histoire du judaïsme en France et plus particulièrement dans la famille de Joann Sfar et pour lui même. Il parle des attentats et profanations des années 1980 qui ont changé sa vision et son appréhension de la religion et de la synagogue. Mais aussi de son rapport à la violence, aux sports de combat et de sa lutte contre le fascisme. Il y a bien sûr beaucoup d’humour et de dérision, ce n’est en aucun cas une hagiographie à la gloire de son illustre auteur… Le récit est dense (plus de 200 pages) mais comme il déroule le fil de sa vie de 17 à 21 ans à peu près et la période où il a 50 ans, on se laisse porter. Très beau travail d’introspection, agréable à lire et relire…
Éditeur : Dargaud – Genre : Autobiographique – Scénario et dessin : Sfar Joann – Date de parution : 30 septembre 2022 – 208 pages – Prix : 25,50 €